Je me souviens (Kathy, Bruxelles, 2021)

Je me souviens de l’odeur de mon papa, une odeur de pain chaud, de jambon de Parme et de fromage.

Je me souviens de ma première carte Interrail, passeport illimité pour passer de l’autre côté des frontières.

Je me souviens de la crème pudding que ma maman faisait les soirs de flemme.

Je me souviens des confitures qui bouillaient et embaumaient la cuisine et qui se dévoraient encore chaudes.

Je me souviens de ma première école qui s’appelait si joliment et justement  “Les sources du gai savoir”.

Je me souviens des matchs du R.W.D.M. et du kop où je me laissais embrasser sur la joue.

Je me souviens des “Routiers sont sympas”, de Max Menier et de la route bouffée par ces gars.

Je me souviens qu’on enregistrait des tubes rock et pop le vendredi soir quand passait “Avros Top Pop presenteert de nationale hitparade” sur une chaîne hollandaise.

Je me souviens du rythme qui jaillissait de mon corps malgré moi quand résonnaient les musiques sur les radios libres. Un adjectif qui me fait rêver.

Je me souviens de mon parrain qui m’emmenait sur les brise-lames le vendredi soir en arrivant à la côte, comme on disait jadis.

Je me souviens des paysages de l’Himalaya où la clameur des moines bouddhistes finissait de m’enchanter, de m’émerveiller.

Je me souviens des nuits à déambuler de bar en bar, de parc en parc, dans les rues vibrantes de Bruxelles.

Je me souviens de Marco et de ses serpents.

Je me souviens de Bou et de ses 150 kilos de gentillesse.

Je me souviens des aéroports que j’adore.

Je me souviens de ce cauchemar récurrent où des tigres grimpaient sur la façade de notre maison.

Je me souviens de “L’Ex, le Beau Bruxelles”, de ma musique, de la danse, de la transe.

Je me souviens de tout, de trop, de pas assez, de la honte aussi parfois.

Je me souviens des Bee Gees et de Staying Alive et de toute la joie qui en naissait.

Je me souviens des poèmes appris à l’école.

Je me souviens d’une seule date importante, basculante, celle de la naissance de Milan, mon fils.

Je me souviens m’être battue à mort pour me défendre et avoir créé alors cette carapace pleine d’audace derrière laquelle se cachent les peurs et les malheurs.

Je me souviens être née esthète pour la vie.

Je me souviens des plages paradisiaques, de soleil brûlant, de jus d’ananas, de bières fraîches au soleil couchant.

Je me souviens de leur beauté, de leurs cheveux noirs, brillants, soyeux et soignés.

Je me souviens de leurs saris chatoyants, de leurs djellabas, de leurs kipas, de leurs monokinis, de leurs tenues de ski criardes, de leurs costumes si bien coupés, de leurs jeans confortablement troués, élimés et délavés et de tous ces pieds nus qui foulent notre Mère, notre Terre.